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Les femmes peu représentées dans les organes de prise des décisions au sein des fédérations sportives

Par Thierry Niyungeko

Appuyée par l’Ambassade de France au Burundi, l’Association des Journalistes des Sports a organisé au début du mois d’avril 2020 sa troisième émission sur la place des femmes dans les instances de prise des décisions au sein des fédérations sportives nationales.

Sur les 24 fédérations affiliées au sein du Comité National Olympique du Burundi, seule l’association des journalistes sportifs est présidée par une femme. Pourtant, certaines femmes occupent des places de choix aux instances sportives nationales. C’est le cas de Mme Lydia Nsekera, présidente du CNO et ancienne présidente de la fédération de Football du Burundi (FFB) entre 2004 et 2013 ainsi que Mme Pelate Niyonkuru qui occupe le fauteuil du ministère en charge des Sports.

Comme mentionné dans la première partie de la Charte Olympique, l’objectif du Comité Internationale Olympique (CIO) est d’atteindre la parité des athlètes féminins et masculins qui participent aux différentes compétitions internationales. Sur le plan national, la nouvelle loi régissant le sport approuvée en date du 30 Novembre 2019, stipule dans son article 14 que toutes les organisations sportives doivent intégrer et promouvoir les femmes dans toutes les commissions surtout aux organes de prise des décisions.

Selon une enquête réalisée en 2017 par la commission Femmes et Sports au sein du Comité National Olympique (CNO) du Burundi, 14 fédérations sondées sur les 24 affiliées montrent que la place de la femme aux organes décideurs est très basse puisqu’elle avoisine les 30 % par rapport aux hommes. Pour Mme Circoncilie Nahimana qui préside cette commission, un long chemin reste à parcourir puisque ce pourcentage est loin d’être satisfaisant pour atteindre les 50 % en perspective. Même chez les fédérations qui ont intégré des femmes au sein de leurs comités, rares sont celles qui placent ces dernières parmi les membres du bureau qui décide sur tout ce qui doit être fait.

Quelques exceptions

Selon Circoncilie Nahimana, certaines fédérations sportives ont déjà compris l’importance de l’intégration des femmes aux organes de prise des décisions. C’est notamment dans la Natation où le comité exécutif de la fédération est constitué de 50 % des hommes et 50 % de femmes. L’autre bel exemple se rencontre dans la fédération de Net Ball où le comité directeur est dominé par les femmes avec une représentation de 57 %. Il y a des fédérations qui ont quasiment oublié la participation de la femme au sein de leurs instances. Parmi celles-ci, on note celle des Luttes associées, de la Marche et Jogging ainsi que du Karaté qui ne comptent aucune femme dans leurs comités exécutifs. La fédération de Football qui compte une seule femme contre 13 hommes comitards se classe parmi ces dernières qui n’ont pas encore pris en considération la présence des femmes dans leurs organes dirigeants. Il est avéré que l’absence des femmes aux instances de prise des décisions est un handicap énorme dans la promotion des sports en général et des équipes féminines en particulier.

Remédier à ce problème

Afin de remédier à ce problème, le CNO prévoit de développer et promouvoir des activités sportives impliquant les femmes dans les organes de prise des décisions. C’est pour cela qu’il sensibilise les femmes à ne pas se sous-estimer et se sentir capables d’occuper ces positions aux comités exécutifs. Consciente que les hommes ne viendront pas chercher les femmes chez elles pour les placer dans ces instances, Mme Circoncilie Nahimana leur exhorte d’abord de s’impliquer davantage à l’organisation des activités sportives, s’intéresser ensuite aux différentes formations pour maîtriser les règlements et enfin intégrer les organes tout en sachant ce qu’elles doivent faire. Elles ont du potentiel et ont prouvé à plusieurs reprises que les sports contribuent considérablement dans l’épanouissement des femmes qui les pratiquent. Des stéréotypes liés aux coutumes burundaises qui les placent derrière les hommes sont contredits par certaines performances athlétiques qui prouvent la même efficacité en genre, dans tous les secteurs de la vie.

La reconversion sportive comme solution

Selon Ornella Bukeyeneza, seule la reconversion sportive pour les anciennes athlètes qui abandonnent la pratique après avoir fondé leurs familles pourra résoudre ce problème d’intégration aux organes dirigeants. Responsable de la commission Femmes au sein de la fédération burundaise du Karaté, elle remarque que la femme est encore négligée dans les instances de prises des décisions. Au sein de la Febuka, elle constate amèrement qu’aucune femme ne siège au comité exécutif, quelques peu de ses camarades sont campées à l’assistance des commissions qui ne disposent pas de voix au chapitre. Longtemps considéré comme un sport destiné aux hommes, Mlle Bukeyeneza trouve que les femmes décideuses trouveront progressivement leur place au Karaté avec le changement des mentalités qui est déjà en marche pour le moment. Optimiste, Ornella Bukeyeneza estime que ça prendra nécessairement beaucoup de temps à cause des organes en place dans le passé qui n’ont pas su valoriser la femme et lui accorder la place qu’elle mérite mais croit fermement que ça aboutira dans un proche avenir. C’est pour cela qu’elle appelle ses amies qui étaient compétitrices à encourager les jeunes filles à la pratique du Karaté en intégrant le comité directeur qui prend les décisions.

Une situation qui s’améliore progressivement

Pour Erica Kamikazi, vice-trésorière à la Fédération Burundaise du Judo (FBJ), cette situation s’améliore petit à petit avec le temps. Se référant sur les dernières années où la femme ne comptait jamais parmi les organes de presque toutes les fédérations sportives, elle se félicite du pas déjà franchi. « Dans le domaine sportif, nous avons actuellement des femmes qui occupent des postes de grande responsabilité et nous sommes persuadées que la parité en Genre deviendra une réalité au Burundi qui connaîtra d’autres présidentes des fédérations », souhaite-t-elle, citant la présidente Lydia Nsekera dont le brillant parcours sportif n’est plus à décrire. Malgré les nombreuses occupations ménagères qui retiennent souvent les femmes, Mme Kamikazi les appelle à sacrifier une partie de leur emploi du temps libre à l’encadrement des filles en activité et s’impliquer aux élections qui les ouvrira les portes des organes de prise des décisions. S’appuyant sur les performances des filles judokates aux compétitions sous régionales où les Burundaises occupent la première place au niveau de la Zone V, Erica Kamikazi témoigne que si les filles sont valorisées, le rendement de leur participation est conséquent.

Se réveiller et lutter pour leurs droits

A la Fédération Burundaise de Volleyball (FBV), la secrétaire générale adjointe Claire Kabura dit Kangourou constate que même si cette discipline sportive est pratiquée par tous les genres, les femmes ne sont pas suffisamment représentées au comité exécutif. Elle déplore les anciennes coutumes aliénant  les filles qui prévalent aux sports puisqu’actuellement des femmes intelligentes et compétentes sont nombreuses aux fédérations mais n’osent pas se faire élire. Mme Kabura appelle les femmes à se réveiller et lutter pour leurs droits car la plupart des fédérations leur confèrent 3 places dans un comité exécutif de 10 personnes. Plaidant pour l’atteinte des 50 % que le CIO prône pour les femmes, cette ancienne volleyeuse invite ses camarades à faire preuve de solidarité en votant pour des candidates qui peuvent être à la hauteur de diriger. Aux joueuses en retraite, elle suggère de poursuivre des séances de formations afin d’apporter leur contribution dans l’encadrement des nouvelles générations qui sont encore entraînées par des hommes. A la cellule Genre du ministère en charge des Sports, Claire Kabura appelle à défendre les filles dans leur participation aux compétitions internationales au même titre que les garçons. Ces derniers ne ratent jamais les grands rendez-vous au moment où leurs sœurs de Muzinga n’ont pas eu de moyens pour participer aux 6 derniers championnats de la Zone V alors qu’elles se sont qualifiées.

S’imposer pour obtenir ce qu’elles méritent

Pour sa part, la secrétaire générale Elsie Uwamahoro de la Fédération Burundaise de Natation (FBN) et représentante de la commission des Athlètes au sein du CNO, les femmes doivent s’imposer pour obtenir la place qu’elles méritent dans les organes de leurs fédérations. Initiés par des hommes qui dirigent les fédérations locales, elle trouve que la faible représentativité des femmes est due à leur pratique sportive qui est intervenu tardivement. Parmi les causes qui engendrent ce fait, le manque d’estime de soi qui hante les femmes ainsi que le manque de formations appropriées les pousse à ne pas se présenter aux élections pour occuper de bons postes. Mlle Uwamahoro trouve toutefois que l’intégration des femmes doit suivre les critères des compétences pour qu’elle soit effective et productive. Cette olympienne constate aussi que la culture burundaise constitue un frein à cette intégration puisque certaines filles éprouvent des complexes à porter des tenues courtes et abandonnent. Elsie Uwamahoro exhorte les autres formations à suivre le modèle de la FBN qui a déjà compris et accordé la place que méritent les femmes dans leurs organes de prise des décisions.

Long chemin pour atteindre la parité souhaitée

Selon le président Félix Nzisabira de la Fédération burundaise du Handball (Febuhand), bien qu’elle connait une nette évolution depuis les trois dernières années, la place des femmes fans les organes décideurs n’est pas satisfaisante. Suivant une étude réalisée en partenariat avec la commission Femme et Sport du CNO, Félix Nzisabira a constaté que le nombre de femmes qui décident aux sports est trop bas. Citant 14 fédérations impliquées dans cette étude, les hommes restent largement représentés par rapport aux femmes qui ne disposent que de 29 % aux comités exécutifs. Il trouve qu’un long chemin reste à parcourir et une grande campagne de sensibilisation doit être effectuée pour atteindre la parité tant souhaitée. Le CNO y travaille déjà et des ateliers sont organisés à cette fin car dans l’avenir les compétitions internationales accueilleront un nombre égal d’athlètes garçons et des filles. M. Nzisabira conseille aux sportives non encore en activité à s’impliquer davantage dans l’encadrement des jeunes et intégrer les instances dirigeantes.

Côté ministère en charge des Sports, le directeur des sports d’élite Laurent Nzeyimana invite les femmes engagées dans le sport à suivre l’exemple de Mme Lydia Nsekera qui préside le Comité National Olympique en se faisant élire. Il trouve que cette situation va inévitablement changer puisque le processus est déjà en marche. Citant certains clubs présidés par des femmes, M. Nzeyimana reste optimiste quant à l’évolution de la place des femmes dans les organes de prise des décisions au sein des fédérations sportives.